Russell, Philosophie


Philosopher c’est spéculer sur des sujets où une connaissance exacte n’est pas encore possible […] la science c’est ce que nous connaissons ; et la philosophie ce que nous ne connaissons pas […] c’est pourquoi on voit à tout moment des questions de philosophie transférées au domaine de la science […] je vois deux usages à la philosophie. Le premier : entretenir la spéculation sur les matières que nous ne pouvons toujours pas assujettir à la connaissance scientifique ; car enfin la connaissance scientifique ne recouvre qu’une très faible partie des sujets qui intéressent l’humanité – ou devraient l’intéresser. Il y a bien des points, et d’un immense intérêt, sur lesquels la science a peu de choses à nous dire, au moins pour le moment ; et je trouverais dommage de confiner les imaginations dans le déjà connu. Imaginer le monde, en reculer les bornes par l’hypothèse, voilà un usage de la philosophie. Mais il y en a un autre à mes yeux : c’est de montrer qu’il y a des choses que nous pensions savoir, alors que nous ne les savons pas. D’une part la philosophie nous tient en haleine, nous propose de penser à ce que nous pourrions savoir ; d’autre part, elle nous rappelle à la modestie, et nous donne à penser que ce que nous prenons pour la connaissance ne l’est pas toujours.

(B. Russell, Ma conception du monde, traduction de Louis Evrard, Idées-Gallimard, 1962, p 7-9).

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