Desanti, L’expérimentation philosophique


Qu’attendre aujourd’hui de la Philosophie ? Mesurée au foisonnement des sciences (« dures » ou « molles «), confrontée aux succès variables de leurs procédures d’investigation et de leur critères de validité, elle semble réduite à la portion congrue. Que peut répondre un philosophe au logicien, au psychologue, au sociologue, au linguiste, au neurophysiologiste lorsqu’ils lui soufflent à l’oreille : «Tu n’as plus de terrain qui t’appartienne en propre. Ce que tu crois pouvoir dire, d’autres discours le disent. Change de métier ».

De tels propos sont irréfutables si l’on accepte le malentendu sur lequel ils reposent. Rien n’est plus traître qu’un nom surtout lorsque ce qu’il entend désigner est à ce point riche de traditions entassées. Si vous demandez à quelqu’un qui se dit philosophe: « Qu’est-ce que la Philosophie ? », la réponse la plus sincère, sinon la plus sensée, qu’il pourrait faire est celle-ci : « C’est ce que je pratique sous ce nom. Venez y voir ». Une façon de vous envoyer promener. Et de fait ce que Descartes a pratiqué « sous le nom » de « Philosophie » n’est pas homogène à ce qu’ont pratiqué Platon, Hegel, Kierkegaard ou Nietzsche. Pourtant nous les nommons « philosophes » et déclarons qu’ils ont philosophé. Il y a donc abus de langage à parler aujourd’hui de la Philosophie comme d’une discipline à laquelle viendrait à manquer un terrain occupé par d’autres. Rien, sinon un effet d’inertie, ne nous autorise à mettre devant ce nom, sans autre examen, l’article défini.

J’énoncerai donc brutalement: « La Philosophie est introuvable. Mais pour ce qui est de philosopher, cela s’expérimente !

(Jean-Toussaint Desanti, L’expérimentation philosophique, Le Magazine Littéraire, n°200, novembre 1983, p. 81).

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